Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
AFTER THE COLD RAIN
AFTER THE COLD RAIN
Publicité
15 juin 2006

you should forget all your prerogatives

Elle n’attend personne. Pourtant, elle est là, immobile, sur ce quai de gare, une revue à la main. Pas de regard pour quiconque, elle fixe ses pieds. Elle est calme la gare. Il n’y a pas de voyageurs quand l’atmosphère est électrique comme ça, où toute la tension est concentrée en en amas de nuages, prêts à exploser si on tire sur le fil un peu trop fort. Dans ces cas là, les voyageurs s’enferment dans des maisons avec paratonnerre, pas dans des trains. Elle aussi, elle va se protéger. Elle rentre. Les pas sont lents. Que fera-t-elle en rentrant ? Elle fera tourner une machine, ses draps par exemple, ils sècheront avant l’orage, et en les accrochant sur le fil, elle s’enveloppera du linge odorant et humide, fermera les yeux. Tout laver pour avoir un moment de bonheur se dit-elle. Entre ses draps, murs de fortune, un peu de légèreté. Au-delà, l’air est pesant, compact. On ne le respire pas. Il y a peut-être de la fraîcheur à l’intérieur. Dans cette grande maison vide, remplie de bibelots, d’épées de bois, de torchons, de magazines. Elle ne veut plus y retourner maintenant dans cette bâtisse. Il y a quelque chose d’abject dedans. Air vicié, moments envolés, elle semble s’écrouler, rongée de l’intérieur. Mais elle ne le voit pas, alors elle ne veut pas y croire. Elle ne veut pas partir, comme tous les autres : les domestiques, ses frères, sa sœur, même ses parents. Ils ont couru eux, très vite. Sans se retourner, sans réfléchir. Mais elle ne peut pas. Il y a dans son corps un poids qui la retient au sol. Un boulet d’égoïsme, qui s’est épaissi d’une couche d’orgueil. Elle le détruirait bien, ce boulet, mais des larmes, des cris n’y feront rien maintenant qu’il est trop tard. Elle n’avait voulu partir avec eux, pourquoi quitter un lieu de bonheur pour aller pleurer le malheur du monde, tenter de sauver des gens à l’agonie, alors qu’ici flottait simplement le bonheur, à humer, sous les arbres, parmi les rires, au milieu des saisons ? Pourquoi ne pas se satisfaire de son bonheur, au lieu d’exalter une générosité veine, une triste compassion ? Elle s’était demandé tout ça quand les siens s’étaient sentis concernés par ces appels, mais ce bonheur était un vent qui pouvait souffler de l’autre côté le lendemain, il fallait en profiter tant qu’il était là, et il n’allait pas les suivre, ce vent. Elle était restée. Avec son morceau de bonheur, froissé dans ses mains. Elle s’était inventé des délires égocentriques, des journées sous le soleil brûlant à écouter de la pop musique et à manger des confiseries du bout des doigts, à regarder les étoiles, à prendre cet air mystérieux qui n’était pas qu’un air. Elle gardait pour elle ce secret honteux. Derrière son masque, aucune peine. Quand on colmate correctement les brèches, l’eau ne s’infiltre pas. Mais elle était bien bête de croire que ce bonheur résidait entre ces clôtures, entre ces murs qui s’ébréchaient, les souvenirs qui moisissaient et ne pourraient maintenir en l’état tout cela. Il n’y a plus rien à faire. Pas même pleurer sur sa médiocrité. Demain, un boulet tenu par une grue détruira la grande maison. Entre ses mains, il y a la lettre du maire, la pétition des villageois, l’ordre de démolition de la ruine suintante. Pas même un morceau de bonheur froissé.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité